Galilée et Spinoza : le problème de linfini
Epaminondas Vampoulis
Independent Scholar.
Thessalonique. Grèce.
La philosophie de Spinoza ne peut pas être comprise si on la sépare du grand courant de pensée qui puise ses fondements dans la nouvelle physique du dix-septième siècle. Cest justement la science galiléenne qui, pour un grand nombre de philosophes de cette époque, a déterminé les formes de conceptualisation du monde matériel, et a fourni les normes de la connaissance adéquate. Ainsi, Spinoza partage avec Galilée un modèle géométrique qui ne rend pas seulement possible la description des phénomènes, mais qui en exprime la production même. Les conséquences de ladhésion à ce modèle sont de taille, puisquelles portent tant sur le problème de lintelligibilité du réel, que sur le statut de la causalité. Ces deux problèmes sont cruciaux pour la philosophie de Spinoza qui fonde le principe de causalité sur la productivité infinie de la substance unique, dont les choses singulières sont des modes finis. Et dès quon considère la causalité comme la seule manière de la production des choses, lintelligibilité intégrale du réel se présente comme une vérité établie.
Cest justement sur un des aspects de cette problématique que les conceptions de Galilée et de Spinoza divergent. Car pour Spinoza linfini, tel quil est conçu par lentendement sans le secours de limagination, fait aussi partie du domaine de lintelligible. Galilée aborde dans les Discorsi la question de linfini et la lie à celle de la constitution du continu ; selon lui, une grandeur continue comporte une infinité déléments sans grandeur qui, séparés par des interstices vides sans grandeur, forment les grandeurs finies. Galilée accorde donc au continu une structure actuelle, tout en affirmant explicitement que linfini, par sa nature seule, nous est incompréhensible ; linfini existe dans le fini, malgré les difficultés et les paradoxes que cette présence soulève. Ce sont justement les paradoxes de linfini qui prouvent, aux yeux de Galilée, que le fini et linfini nont par nature rien en commun. Mais en dépit de cette affirmation, Galilée fonde lexistence de linfini actuel sur la divisibilité de toute grandeur continue : il faut accorder la présence, dans une grandeur finie, dune infinité déléments indivisibles, puisque cest seulement sous cette condition que lon peut poursuivre la division de cette grandeur en parties ayant une grandeur.
Le point de départ de cette logique reste, cependant, linfini en puissance, donc la possibilité dun dénombrement des parties. Cest sous cette condition que Galilée démontre lexistence de linfini en acte dans une grandeur continue. Mais de cette conception de linfini, qui ne dépasse ni les limites de la problématique scolastique ni ses distinctions, il manque un élément capable dexprimer positivement la puissance du continu. Pour Spinoza, par contre, comme le montre sa Lettre sur linfini (Lettre 12), linfini ne dépend point de la multitude de ses parties. Le nombre, étant un auxiliaire de limagination, nest pas à même dexprimer linfini et le continu, puisquil y introduit ipso facto le discret. Ainsi, la structure du continu ne dépend pas de la sommation de ses éléments infiniment petits, mais de la puissance de linfini qui nadmet aucune détermination numérique. Cela, pourtant, ne signifie point quon ne peut pas appliquer la théorie des indivisibles à cette conception de linfini non-numérique. Sil est vrai quentre cette conception de linfini et celle qui présuppose logiquement linfini en puissance il y a un désaccord radical, il est possible néanmoins de montrer que le primat de la géométrique génétique chez Spinoza révèle un modèle qui nexclut pas la théorie des indivisibles, mais qui échappe aux paradoxes de la théorie galiléenne des indivisibles en recourant au dynamisme du mouvement.
| índice |