Galilée astronome philosophe

Maurice Clavelin

Université de Paris-Sorbonne

France.

Ecrivant à Piero Dini, le 23 mars 1615, Galilée décrit en ces termes la motivation profonde de Copernic quand il abandonna le géocentrisme pour l’héliocentrisme. «Pour ce qui est de sauver les apparences, ècrit-il, Copernic [le fit] dans un premier temps, remplissant son rôle d’astronome selon la manière habituelle héritée de Ptolémée; c’est ensuite, aprés avoir revêtu l’habit du philosophe, puis s’être demandé si l’univers ainsi constitué pouvait vraiment subsister in rerum natura, avoir vu que non, et comme il lui paraissait néanmoins que le problème de la vraie constitution de l’univers était digne d’étude, qu’il se mit à la recherche de cette constitution, sachant que si un arrangement fictif et non vrai des parties pouvait satisfaire aux apparences, on y parviendrait encore mieux au moyen du vrai et réel arrangement, avec en même temps pour la philosophie le gain d’une connaissance aussi élevée que celle de la véritable organisation des parties du monde». C’est donc en cessant de raisonner en pur mathématicien, et en se proclamant, par une sorte de coup de force intellectuel, aussi apte que les philosophes à déterminer «la vraie constitution de l’univers» que Copernic inaugura l’astronomie moderne. Par là-même étaient transférées à l’astronome deux des prérogatives essentielles du philosophe: d’abord, la vocation à expliquer, c’est-à-dire le droit de choisir librement ses principes, sans le recevoir de l’extérieur; ensuite, la capacité, pour les constructions ainsi élaborées, de dire le vrai, et non seulement de restituer les apparences. Entre le pur astronome —le mathematicus— et le philosophe, un troisième personnage venait de prendre place: l’astronome philosophe.

Il va de soi qu’en traçant ce portrait de Copernic, Galilée entend clairement nous dire que dans l’héritage copernicien, la transformation du statut de l’astronome n’est pas moins importante que l’avènement d’un nouveau système. Double est donc la révolution copernicienne, et à l’élévation du Soleil au rang de corps central, répond de façon non moins décisive l’élévation de l’astronome au rang d’astronome philosophe. Rallier le copernicianisme, c’est aussi rallier l’idée que l’astronome, par les ressources dont il dispose, est pleinement qualifié pour intervenir dans les questions traditionnellement réservées aux philosophes. Comment Galilée qui recueille fidèlement l’héritage, et sans beaucop modifier le système, a-t-il assumé cette tâche? Dans les limites où Copernic lui-même l’avait assumée? Ou en lui donnant un sens et une ampleur que Copernic n’avait jamais envisagés?

A ces questions, qui fixent le cadre et les limites de la conférence, on répondra d’abord en restituant dans son contexte et son originalité ce qui fut le grand projet de Galilée astronome philosophe. Dans un second temps, on montrera comment la réalisation de ce projet, dès les premières années (1610-1613), alla de pair avec l’élaboration d’une nouvelle méthodologie pour la philosophie naturelle. Une dernière partie, enfin, fera voir comment, sans céder sur aucun point, le plaidoyer copernicien des années 1610-1613 évolua progresivement pour revêtir la forme sous laquelle le présente le Dialogue de 1632.

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